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Ligne 2 notes à l’heure de pointe

Ce soir, comme chaque soir, c’est l’heure de pointe. La rame est pleine à craquer, et précipitamment, sans trop penser, je m’y faufile. Sans trop penser je prends à droite, vers les carrés face à face, et j’attrape d’une main la barre argentée qui serpente le plafond. Sans trop penser, je laisse le wagon me porter, Etoile, Ternes, Courcelles, en regardant les voyageurs pressés s’engouffrer, dans un sens ou dans l’autre. C’est là, au détour d’un tunnel, qu’elle s’est mise à parler. De ses voix qui envoutent, légèrement raillées, rauques mais chaleureuses. De ses voix qui d’un coup rappellent le temps qui passe. Qui aiment tant la vie, et qui aiment la vivre. Qui aiment surtout en rire.


Elle parlait peut-être depuis quelques stations déjà. Bercée par le cliquetis rythmé des roues du train sur la voie, je ne l’avais pas remarquée.


De ses gants de cuir émeraude, elle tenait gracieusement un parapluie qui lui servait de canne. Un manteau tacheté de gris boutonné jusqu’au cou laissait deviner un gabarit menu, tandis qu’un foulard noir moucheté de pois blancs protégeait délicatement sa gorge. Un teint hâlé, des lèvres coquelicot, et des paupières nacrées témoignaient d’une coquetterie toute mesurée. Enfin, un chapeau cendré épinglé d’une lourde broche coiffait mon élégante inconnue.


« Où descend-on ? A Villiers ? Il y a un homme politique qui porte ce nom, n’est-ce pas ? Villiers, Villiers…de Villiers ! Philippe ! Ah oui, Philippe de Villiers. Il fait de la politique. »


Son compagnon de route, sorti tout droit d’un vieux roman de gare, avait les cheveux gris broussaille. A travers de petites lunettes rondes, délicatement posées sur ses deux joues rougies, il dévorait des yeux sa fascinante amie. Subjugué. Comme je l’étais moi-même.


Je me plais à penser que leur histoire commune remonte à bien longtemps, qu’ils se sont peut-être toujours connus, que leurs chemins ont été différents, sans qu’ils ne se perdent de vue pour autant. Qu’aujourd’hui leurs routes à nouveau se croisent. Que pour lui renaît un nouvel espoir.


Villiers.

Les portes s’ouvrent et ils descendent. Côte à côte, sans se donner le bras. Malgré ce que j’avais imaginé tout bas. Elle parle, elle parle et continue. Il l’écoute, souris, l’écoute encore.


Ils ne m’ont jamais vue, cachée par la silhouette filiforme d’une jeune fille perdue dans les notes de son casque à musique. Dommage pour elle, cette mélodie-là était encore plus douce.




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